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Risques et entrepreneuriat : deux facettes d’une même pièce à forts enjeux, celle-là même qui se joue dans chaque décision entrepreneuriale.

« Le pire des risques est de perdre le goût du risque. »

Robert Sabatier

Qu’est-ce que l’entrepreneuriat ?

Rappelons-le brièvement : l’entrepreneuriat est l’activité principale de l’entrepreneur, qui lui-même est une personne qui, par choix, propose et soumet, dans le cadre de son activité entrepreneuriale, une plus-value (création de valeur, richesse, emploi) à l’attention du marché économique et social.

L’activité entrepreneuriale consiste donc dans l’exécution d’un plan, constitué de sous-parties et d’objectifs à réaliser, la mise en pratique d’une réflexion ou d’une idée préalablement mûries, la confrontation à la réalité d’un marché.

Cette confrontation contient intrinsèquement des risques, du fait de l’incertitude liée à la bonne réalisation du plan prévu.

De ce fait, l’entrepreneur ou le futur créateur, doivent très tôt se familiariser avec de bonnes pratiques de réflexion et de remise en question, de gestion et de développement d’activité, qui peuvent se résumer ici à quelques questions (liste non exhaustive) :

  1. Etes-vous à l’aise avec la négociation et la prospection commerciales ?
  2. Avez-vous un réseau personnel ou professionnel conséquent ?
  3. Avez-vous un, ou des, engagements sociaux ?
  4. Appartenez-vous à un, ou plusieurs, réseaux sociaux, regroupements professionnels ?
  5. Avez-vous une capacité de travail importante ?
  6. Etes-vous à l’aise avec les différents outils informatiques et l’environnement Internet ?
  7. Savez-vous à qui s’adresse votre proposition de création de valeur ?
  8. Avez-vous une vue panoramique et exhaustive du marché que vous souhaitez atteindre ?
  9. Avez-vous une communication institutionnelle et un argumentaire commercial éprouvés ?
  10. Avez-vous testé votre proposition de création de valeur auprès d’un échantillonnage de prospects ?

Le premier risque important que l’entrepreneur, ou le futur créateur d’entreprise, prennent réside dans la place laissée à l’incertitude au sein d’une activité d’entrepreneuriale

Certains outils peuvent aider à limiter l’incertitude.

Parmi eux, le Business Model Canvas (1) propose par exemple d’effectuer ce type travail de préparation et de réflexion à partir de 10 items majeurs : le segment de clientèle, la proposition de valeur, les canaux de communication, distribution et vente, la relation avec les clients, les flux de revenus, les ressources clés, les activités clés, les partenaires clés, la structure de coûts, le profit.

Le concept de risque

Le concept de risque s’envisage généralement à partir de la notion de sécurité : il existe ainsi un management des risques que certaines entreprises ont intégré à leur démarche qualité.

La première approche de la notion de sécurité est une approche par défaut. Elle consiste à envisager les différentes situations dans lesquelles l’absence de danger est avérée.

Selon le professeur de Sciences Appliquées Gilles Motet (2), cette approche permet de distinguer la notion de « phénomène dangereux » de celle de « propriété dangereuse ».

Appliquée à l’entrepreneuriat, il conviendrait de qualifier la notion de « comportement dangereux », ou encore « comportement risqué », notamment eu égard à l’incertitude et au manque de visibilité (pilotage de l’activité entrepreneuriale).

Dans une seconde approche du risque, toujours selon le professeur Motet (2), le comportement dangereux, ou risque, de l’acteur (ici l’entrepreneur) n’est pas perçu comme tel.

C’est alors l’accident (de parcours) qui va jouer le rôle de révélateur.

Le risque, dans cette perspective, se définit alors comme « la combinaison de la probabilité d’un dommage et de sa gravité. (Guide 51 de l’ISO, 1999). »

Une réponse possible consiste alors dans l’appréciation, la plus juste possible, du risque et sa remédiation progressive en se fixant des objectifs orientés vers les zones d’ombre et d’incertitude : ou comment basculer de l’incertitude totale à la certitude probable.

Ceci peut s’accomplir, en utilisant la matrice de conduite du changement de Kotter (3), qui comprend les 8 étapes suivantes :

  1. Définir clairement les objectifs à réaliser et créer la nécessité de l’urgence du changement à réaliser.
  2. Obtenir une solide coalition (lorsqu’il s’agit d’une équipe ou d’un groupe) et établir un plan d’action « afin que sa réalisation permette d’atteindre les objectifs fixés ».
  3. Créer une vision de l’état (étape) futur(e) désiré(e).
  4. Communiquer sur cette vision.
  5. Inciter à l’action et/ou la prise de décision.
  6. Générer des succès à court terme (1 à 6 mois).
  7. Consolider les succès afin de renforcer la croyance du changement et ne pas perdre les acquis obtenus.
  8. Ancrer les nouvelles approches et résultats dans la culture entrepreneuriale.

Risque et prise de décision

La maîtrise des risques, et la réduction de l’incertitude, s’obtiennent donc essentiellement par la prise de décision et le passage à l’action : les choix et les orientations vont être déterminants car décider c’est agir, mais c’est aussi et avant tout choisir.

Comme je l’ai déjà souligné par ailleurs, certains auteurs (H. Bouchiki et J. Kimberly), cités par le sociologue Émile-Michel Hernandez dans son article sur les différentes dimensions de la décision d’entreprendre (4), donnent une typologie de la prise de décision appliquée à l’action de créer et entreprendre.

Cette classification comporte cinq types de prise de décision :

  1. La décision réfléchie : elle marquerait la finalisation d’un processus de pensée incluant un nombre important d’opinions et de croyances.
  2. La décision par défaut : comme son nom l’indique, elle se caractériserait par l’absence de plusieurs choix, se réduirait au choix que l’on n’avait pas forcément envisagé ou souhaité initialement, et s’imposerait ainsi à nous comme l’unique possibilité restante.
  3. La décision opportuniste : elle se caractériserait par la rencontre d’une opportunité, ou possibilité, et sa saisie. Elle esquisse ainsi le visage de « Kairos ».
  4. La décision impulsive : il s’agirait d’une décision qui précéderait toute réflexion. Nous pouvons aussi la désigner comme « décision émotionnelle brute ». Une prise de conscience directe et confrontante génère ainsi souvent le sentiment de « s’être fait avoir » (ou sentiment d’injustice) et peut aussi faciliter le « passage à l’acte » physique ou verbal.
  5. La décision programmée: il s’agirait ici de la « décision sociale », ou « groupale », qui ferait que notre choix est avant tout guidé, ou commandé, par les demandes du groupe, de la communauté ou de la société.

D’autres auteurs (5), soulignent que les recherches sur la psychologie de la prise de décision tendent à montrer que la prise de risque est fortement corrélée aux bénéfices attendus, d’une part, et que cela dépend également des domaines de vie pour lesquels il est question de se projeter, d’autre part : les finances, la santé, les relations humaines, etc., etc.

Cette variante-risque est donc étroitement liée à l’évaluation de ce dernier en situation entrepreneuriale.

Cette évaluation du risque s’entend à partir de deux composantes majeures : « le degré de risque des situations et la volonté des individus à prendre des risques . » ibid.

Mais, ceci n’explique pas tout : les caractères et les personnalités peuvent entrer en conflit certaines composantes intrinsèques (biais cognitifs, croyances) et rendre ainsi la perception ou la propension au risque plus complexe que de prime abord.

Dire « c’est un fonceur ! », ne suffit donc plus aujourd’hui pour caractériser un entrepreneur.

Risque et subjectivité

Le risque peut-être perçu soit comme une menace, soit comme une opportunité : il est dès lors important de noter, comme le soulignent les chercheurs Alain Fayolle, Saulo D. Barbosa et Jill Kickul (5), « (…) que la prise de risque et la perception du risque sont des notions vraiment multidimensionnelles, dépendantes des contextes et spécifiques à des domaines d’application. »

Parmi ces domaines, l’étude mentionnée pointe cinq domaines majeurs et cependant distincts qui ont délivré des réponses à fort taux de variabilité, et ce en fonction des risques perçus et des bénéfices attendus :

  1. La finance
  2. La santé
  3. L’éthique
  4. Les loisirs
  5. Le social

Perception du risque et décision entrepreneuriale

Comme les auteurs précédemment cités nous le rappellent : la perception du risque est « une évaluation du risque par le décideur ou l’acteur dans une situation donnée (…) et est perçue comme un déterminant du comportement risqué et de la prise de décision entrepreneuriale. » Ibid.

Plus précisément, perceptions et structures de connaissances seraient, selon eux, fortement influencées par des mécanismes cognitifs qui viendraient brouiller les cartes d’une juste prise de décision.

Ainsi, si nous sommes persuadés (par un excès de confiance = mécanisme cognitif) que nous allons tripler notre C.A prévisionnel dès les 3 premiers mois d’activité, nous prendrons peut-être beaucoup plus de risques que si nous n’avions pas cette impression de sentiment d’invulnérabilité.

Ce qui est alors en question est : le jugement intuitif.

Nous pouvons, d’après la philosophie kantienne, classer les types de jugements en trois catégories :

  1. Jugement apodictique : énonce un fait nécessaire,
  2. Jugement assertorique : énonce un fait existant,
  3. Jugement problématique : énonce un fait possible qui reste à démontrer.

Remis en perspective à l’aide de la table des jugements de Kant, nos types de jugement prennent place dans 4 méta-catégories : Quantité, Qualité, Relation, Modalité.

Source : Science et métaphysique chez Kant, Michel Meyer, PUF, 1995

De fait, les situations à risque dépendent bien du degré intrinsèque de risque propres à chaque situation, de la volonté de chaque personne à y faire face, mais plus profondément encore, et sans doute plus subtilement, de l’impact des biais cognitifs et des émotions sous-jacentes.

Il est donc capital de noter, en guise de conclusion, comme le restituent nos auteurs précédemment cités que (5) :

« Slovic (1964) en a conclu que l’insuffisance de consensus au sein de ces mesures pouvait être largement due au caractère multidimensionnel du risque et à sa subjectivité. Kogan et Wallach (1967), dans leur synthèse des différents déterminants de la prise de risque, ont confirmé ce postulat en accordant une emphase particulière aux facteurs situationnels. »

L’hypothétique est donc vaincu par la confrontation au réel d’une situation (non virtuelle) vécue.

L’unidimensionnel, pensé comme tel, dans une décision entrepreneuriale est en lui-même un facteur-risque aggravant, car le levier multidimensionnel est en soi une garantie de possibilités existantes en tant que potentialités.

Le risque est donc, à la fois, une menace et une opportunité évoluant au fil de la complexité ambiante des situations, des intentions et des positionnements des acteurs individuels, de la dynamique collective concernée par les enjeux.

Bibliographie recommandée

  • La méthode Value Proposition Design, Strategyzer, Alex Osterwalder, Editions Pearson, 2015
  • Article en ligne : « Le concept de risque et son évolution », Gilles Motet, (http://www.annales.org/re/2009/re57/Motet.pdf)
  • Conduire le changement, John Kotter, Editions Pearson Education, 2015
  • Article en ligne : « Les trois dimensions de la décision d’entreprendre », Emile-Michel Hernandez,
  • (https://www.cairn.info/revue-francaise-de-gestion-2006-9-p-337.htm)
  • Article en ligne : « Une nouvelle approche du risque en création d’entreprise », Alain Fayolle, Saulo D. Barbosa, Jill Kickul, (https://www.cairn.info/revue-francaise-de-gestion-2008-5-page-141.htm)

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