Qu’est-ce qui caractérise la confiance ?
La confiance, ou le sentiment de confiance devrait-on plutôt dire pour être plus précis, est une réalité psychologique à deux entrées, dynamisant une même unité : l’équilibre psychologique d’une personne.
Un peu à l’image du dieu grec Janus, le sentiment de confiance possède une première face qui dirige vers soi-même (le discours intérieur, l’intériorité), une seconde face qui dirige vers le monde extérieur (les autres, l’extériorité). Ces deux modes de rapport au sentiment de confiance ne sont pas dissociables l’un de l’autre puisque, l’un et l’autre, se conditionnent réciproquement.
Si j’ai, par exemple, un faible niveau de confiance en moi associé à une piteuse image de moi-même, je vais difficilement pouvoir manifester un sentiment de confiance envers les autres ; ou bien celui-ci s’établira au détriment de ma propre personne : par exemple sous la forme d’un rapport de dépendance, ou d’idéalisation, à l’autre pouvant remettre en question mon équilibre interne.
Comme je l’avais précédemment souligné dans un autre article (Qu’est-ce que la confiance en soi ?) :
« La confiance en soi est alors de fait corrélée à l’histoire personnelle, celle d’une famille, ou plus largement celle d’un groupe social : c’est-à-dire la somme provisoire d’expériences et de rencontres d’une vie en cours de déroulement. . Elle est rayonnement, espérance, indulgence et amour, au présent, lorsqu’elle devient médiatrice des réussites, des attentions et récompenses passées qui fondent les soubassements de l’édifice humain. »
L’étymologie de « confiance » nous renvoie à l’idée de foi, Fides : avoir la foi en quelqu’un, ou quelque chose, fait de nous des croyants, des êtres dotés de croyances en la possibilité d’un lendemain meilleur ou différent. Ce qui caractérise, et rend possible, le sentiment de confiance est avant tout notre capacité à croire : finalement très voisine de celle de croître.
« Là où croît le péril croît aussi ce qui sauve ».
Hölderlin
Peut-on avoir « un peu » confiance en quelqu’un ?
Voilà bien une question qui s’est fréquemment imposée à moi, durant mon parcours de coach et également dans ma vie : puis-je avoir un peu confiance en quelqu’un, c’est -à-dire pas complètement ?
Autrement dit : puis-je embrasser le sentiment de confiance du bout des ongles ?
Ma réponse aujourd’hui, qui sera peut-être différente demain, est que le sentiment de confiance est binaire : c’est tout ou rien.
Le « un peu » est selon moi un faux ami qui nous permet de ne pas nous confronter à l’inconfort que supposerait le fait d’être franc avec soi-même… et les autres. Car à y regarder de plus près : peut-on, sérieusement, avoir « un peu » confiance en soi-même, un collaborateur, sa compagne ?
Avant/Après VS Un peu/Beaucoup.
D’aucuns pourront aussi bien préférer l’avant/après au un peu/beaucoup.
Etes-vous de celles et ceux qui font confiance « après coup » ?
C’est-à-dire après avoir eu des preuves, des résultats, confirmant la possibilité de pouvoir faire confiance ?
Car, effectivement, il est soit possible de se dire qu’il y a, en tout être humain, un fond positif sur lequel il est possible d’investir notre confiance ou bien se dire que celle-ci doit être méritée.
Dans le cadre de mon travail, il m’est arrivé de proposer l’exercice suivant lorsque le problème de la confiance s’invitait, dans le coaching, comme une source de grands malheurs.
- Première partie de l’exercice : êtes-vous plutôt « avant/après » ou bien « un peu/beaucoup » ?
- Deuxième partie : en fonction de l’orientation donnée par la personne, je lui demandais de se questionner sur les personnes les plus proches de son entourage personnel et/ou professionnel.
Les résultats sont, à chaque fois, étonnants et montrent à quel point nos croyances peuvent être nos meilleurs alliés ou bien nos pires ennemis.
Confiance et trahison.
Le problème de la confiance se pose également, dans son entièreté, lorsque ce sentiment est rattaché à une hiérarchie de valeurs et qu’au sommet de cette hiérarchie siège le sentiment de loyauté ou de fidélité.
La loyauté est le contraire de la trahison.
La loyauté est, par définition, ce qui est légal, ce qui fonde le lien de cause à effet conformément à une loi : il y a une grande proximité entre loyauté et légalité. Il est donc essentiel, dans une situation vécue comme une trahison ou une perte de confiance, de se demander ce qui, dans la loyauté de la relation, a été bafoué ? Et, de prime abord, se demander si une telle loi (à laquelle les parties se réfèrent souvent implicitement) avait bien été formulée et acceptée par tous.
Sur ce point, j’insiste, il est très fréquent de constater un déséquilibre, un malentendu, ou des non-dits, comme « allant-de-soi », générant parfois un véritable « No man’s land » relationnel. On comprend donc qu’une trahison, une déception, ou une perte de confiance vis-à-vis d’une personne, puissent déclencher de l’incompréhension (sidération), de la colère (injustice), un éloignement psychologique (distanciation et perte de la complicité), une séparation physique (territorialité non partagée).
Toute l’histoire humaine est marquée par des personnages récursifs incarnant la traitrise ou la félonie, comme par exemple Judas, matérialisant de fait la séparation du groupe en sous-groupes ou en unités.
La traitrise provoque la séparation : elle est, par nature, anti-sociale et manichéenne.
« L’esprit manichéen transforme toute distinction en opposition et ramène systématiquement la complexité du réel à deux termes qui s’excluent ».
(Jacques Grand’Maison)
Comment retrouver l’équilibre ?
Comment donc (re)faire confiance à quelqu’un qui nous a trahit, ou pour le moins blessé ou fortement déçu ?
Ce qui dépend de moi / Ce qui ne dépend pas de moi.
Tout dépend bien évidemment du contexte de l’histoire commune, du degré d’engagement des personnes dans la relation et de la gravité des faits. Cependant, une première piste de réflexion s’ouvre à nous si nous nous demandons ce qui a dépendu de nous-mêmes et ce qui était de tout autre nature. Nous pouvons agir sur ce qui dépend de nous, de notre responsabilité, et l’envisager comme une source d’apprentissage et comme un choix de vie.
Ne pas savoir et (se) faire cependant confiance est bien ce qui caractérise la confiance en soi, ce qui permet de conserver une certaine curiosité, ce qui permet l’apprentissage (essais, erreurs), la connaissance et la découverte. Si nous pensons, par exemple, avoir commis des erreurs ou bien de pas avoir été à la hauteur d’une situation, c’est bien notre affaire : avant tout.
Le premier pas vers la reconstruction, la résiliation, la réflexion, doit donc se faire en notre direction : le fait qu’une personne est été malintentionnée ne dépend pas nécessairement de nous. Le fait que nous ayons, d’une certaine façon, « participé » à cela peut le devenir.
« Se soumettre à l’autre, c’est l’autoriser à prendre ; mais s’en remettre à l’autre, c’est l’inviter à donner. »
Gildas Richard
Si je peux agir sur mon environnement, si je peux changer et même me transformer, c’est que quelqu’un d’autre pourra aussi le faire. Je ne peux cependant pas demander à l’autre de faire ce chemin à sa place, tout comme je ne peux lui demander qu’il fasse ce chemin à la mienne.
Changer suppose un stimuli externe alors que se transformer est une démarche interne : on peut d’ailleurs ici y voir la métaphore de la pierre philosophale, comme Jung qui parlait à son encontre de « processus d’évolution psychique », dans le fait que le changement ne soit pas un changement de forme, mais bien une transformation de nature, un changement de fond.
Retrouver l’équilibre est donc inconfortable car cela suppose des efforts, mais nécessaire, car toute « fenêtre cassée », non réparée, envoie un message au monde qui l’entoure : ici vous pouvez entrer sans demander de permission, vous pouvez disposer de moi et me violenter. (Alex Rovira Celma)
Pour retrouver l’équilibre, commençons donc par réparer nos fenêtres cassées, identifions nos « No man’s land », utilisons les mots et les pensées justes. Acceptons d’être, par moments, faibles, ignorants, confus ; car c’est de notre part de faiblesse et d’ombre que nous pouvons puiser notre plus grande force et lumière : celle qui nous autorise à croire en notre capacité de changement et de transformation.
« La confiance est sans aucun doute « une forme de savoir sur un être humain », mais ce savoir englobe toujours une part d’ignorance : « Celui qui sait tout n’a pas besoin de faire confiance, celui qui ne sait rien ne peut raisonnablement même pas faire confiance. »
Michela Marzano
« Il y a dans la confiance qu’un être humain porte à un autre une valeur morale aussi haute que dans le fait de ne pas décevoir cette confiance; et cette valeur est peut-être même encore plus libre et plus méritoire, car lorsqu’on nous fait confiance, nous sommes presque engagés par un jugement porté sur nous par avance, et il faut déjà être positivement mauvais pour le décevoir. Mais la confiance « se donne »; on ne peut pas exiger qu’on nous l’accorde comme nous exigeons de ne pas être déçus, une fois qu’elle a été accordée. »
(Georg Simmel, Sociologie. Etude sur les formes de la socialisation.)