Voyages intérieurs
Entre désir et renoncement
Entre désir et renoncement : être conscient des rapports de force est ce qui sauve de l’erreur, le phénix peut aussi renaître de ses cendres.
« Qui soi-même a fait face à quelque chose, espère être celui qui le peut le mieux dire.»
Pindare
Entre désir et renoncement. Il n’est certainement de voyages que possibles.
On ne peut voyager dans l’impossible tout comme on ne peut voyager dans l’impensable, ou bien alors il s’agit d’illusions…
L’idée même de voyager n’est en elle-même possible que si elle exclut l’immobilité définitive de la pensée : quelque chose en nous doit être en mouvement, ou bien se préparer à l’être.
Or, « se préparer » à être, c’est « exister ».
Comme le souligne l’étymologie du mot : « exister », c’est être « hors de soi », non pas dans « tous ses états » mais bien à l’ « avant de soi », en contact avec son futur immédiat.
Il n’y a donc d’immobilité qu’illusoire car quelque chose en nous, ne serait-ce qu’une once d’atome de poussière d’étoile, sera toujours reliée aux grands ensembles dynamiques, ou bien en passe de le faire.
Ceci n’est donc jamais l’immobilité définitive, mais bien une sérieuse entrave à la présence terrestre, physique.
Bien sûr, il y a aussi la prise de risque, qui est généralement couplée au gain de temps ou bien à la réalisation d’une performance: « temps accidentel », cher à l’architecte et essayiste Paul Virilio.
Inventer le train à grande vitesse, c’est inventer la possibilité de son déraillement.
Le renoncement est le premier signe du refus d’être prêt au mouvement ou bien à la poursuite d’un mouvement déjà en cours.
Phase de latence existentielle ?
Parfois, oui : il existe une période variable, d’un être humain à l’autre, qui détermine une durée contenue entre une action volontaire et la réaction qui s’en suit.
En ce sens, oui, un renoncement, peut être « vacataire » ; mais le plein emploi du renoncement, quant à lui, est tendanciellement définitif.
J’entends par là, qu’un mouvement d’une puissance supérieure vienne progressivement, ou subitement, s’installer, absorber ou dissoudre un élan de vie et induire ou imposer le renoncement.
Ainsi, les derniers mots de l’aventurier australien Andrew McAuley, qui tenta la traversée de la mer de Tasmanie en kawak et sombra à une trentaine de kilomètres de la côte néerlandaise, sont un témoignage dramatique de ce type de rapport de force partiellement, ou mal, évalué (le lien pour visualiser la vidéo se trouve en bibliographie).
Cela n’enlève bien évidemment rien à son mérite, son extrême courage, mais souligne le fait que l’ « enfoncement » avait bel et bien débuté bien avant la phase critique, alors même que la partie semblait, pour ses proches, d’ores et déjà gagnée.
Ainsi, certaines injonctions à la mode, « il ne faut jamais renoncer », « il ne faut jamais abandonner », etc., etc.,… méritent d’être resituées à leur juste place.
Se fracasser la tête contre un mur, sous prétexte que celui-ci finira par céder, par le simple fait de la force mentale ou de la répétition, relève purement et simplement de la bêtise (Clin d’œil en référence au film « Les chèvre du Pentagone »).
La question est : savons-nous reconnaître ce type de murs ?
« L’orgueil, c’est un roi solitaire, oisif et aveugle ; son diadème est sur ses yeux. »
Barbey D’Aurevilly
Entre désir et renoncement, nous avons le choix. Comme je le soulignai par ailleurs : avoir le choix, c’est ce qui nous caractérise comme êtres humains existants. Au cœur du choix, réside l’enjeu de la transformation de la vulnérabilité, ou de l’orgueil, en potentialité, ou possibilité. Ce choix relève de notre responsabilité et liberté.
Oui, parfois, il est préférable et même souhaitable de renoncer car le renoncement est alors en même temps la possibilité d’un autre choix : une nouvelle direction, un nouveau projet, une possibilité de prise de distance ou de réflexion.
Il est en fait vital d’être conscient des rapports de force qui sont en jeu en toutes circonstances : parfois la transcendance n’est pas possible, parfois ce qui va suivre est tout simplement la fin de l’histoire ; ou bien parfois aussi le phénix peut renaître de ses cendres et dans ce cas la transcendance opère la transformation requise.
« – Si le mot désir est très attirant, celui de renoncement est au contraire tout à fait répulsif. Est-ce seulement parce qu’on imagine que le renoncement est totalement morbide ? – (J.K) A la longue et poussé à l’extrême, il l’est ! C’est pourquoi il est important de souligner qu’à côté du versant de censure et de contrainte, il en est un autre, producteur de capacités humaines qui ne sont pas biologiques, mais qui sont la représentation : une architecture de la vie humaine où s’allient le physiologique et le mental. »
Julia Kristeva
Bibliographie et filmographie recommandées
- Entre désir et renoncement, (Dialogue avec Julia Kristeva), Editions Albin Michel, Collection Espaces libres, Paris, 2005
- Perdu en mer de Tasmanie ( Andrew McAuley)